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8 mai 2013 3 08 /05 /mai /2013 19:14

 

Parole de syndicaliste: Philippe Le Roy, agent de maîtrise et électricien à la ville de Morlaix, syndicaliste CGT

 

Le Chiffon Rouge: Peux-tu nous dire quelles sont les raisons du mouvement revendicatif que les agents municipaux de la ville de Morlaix ont initié depuis plus d'un mois (préavis de grève reconductible, blocage de la cuisine centrale, entretiens avec les élus pour dénouer la situation de crise)?

 

Philippe Le Roy: Ces actions d'interpellation ont été engagées principalement par rapport au manque de personnel et de reconnaissance au travail. Au service menuiserie, il manque un agent (on est passé de 3 à 2 agents suite à la nomination d'une personne comme responsable qui n'a pas été remplacée). A la voirie, il manque aussi un poste: un agent décédé n'a pas été remplacé. Au service des sports, il manque deux postes: 2 départs non remplacés (un départ en retraite, un autre décédé l'an passé). Dernièrement, une personne en CDD a été priée par le Directeur Général des Services de rester à la maison du jour au lendemain, sans préavis.

A la cuisine centrale, en raison de la perte du marché de Saint-Pol et de communes de Morlaix Communauté qui ont fait le choix de commencer à travailler avec des cuisines privées, on va perdre 4 emplois probablement: dont 2 CDD qui pourraient ne pas être renouvelés à la fin juin.

Les relations avec le Directeur Général des Services et les élus ne sont pas fameuses. On nous impose l'austérité à travers le non remplacement des départs, le non renouvellement des CDD, la réduction des effectifs qui nous impose une surcharge de travail.

Les gens qui passent des examens en vue d'obtenir une promotion et qui l'obtiennent se voient refuser leur nomination aux postes de responsabilité auxquels leur réussite à l'examen leur donnait droit, sur des critères subjectifs, à la discrétion des responsables qui promeuvent « à la tête du client ».

 

Le Chiffon Rouge: Avez-vous des revendications au niveau des rémunérations? Où en êtes-vous sur ce point?

 

Philippe Le Roy: Les salaires ne sont pas élevés, principalement en raison du blocage du point d'indice décidé depuis des années au niveau national dans le cadre de la politique de rigueur. Nous demandons une amélioration du régime indemnitaire: actuellement, par rapport à la grille indiciaire de base des agents territoriaux, nous avons 139€ en plus par mois, contre 450€ par mois environ à Morlaix Communauté, mais nous avons un 13ème mois, contrairement à ce qui se passe pour les agents de Morlaix Communauté ( 650€ en juin et en novembre: cela fait 108€/mois en plus environ à l'année). Même avec cela, les salaires sont bas car toute une partie des agents plafonne au SMIC. Avec 1200€ par mois, il est difficile de se payer une mutuelle à 50€, ce pourquoi beaucoup d'agents n'ont pas de mutuelle. Nous avons donc une autre revendication forte: que la mairie de Morlaix participe au financement de mutuelles pour ses fonctionnaires territoriaux. C'est désormais possible avec la nouvelle législation. Le 14 mai, nous avons un rendez-vous avec le Directeur Général des Services à ce sujet et je suis particulièrement chargé de ce dossier parmi les élus CGT.

 

Le Chiffon Rouge: Comment décrirais-tu le climat social à la ville de Morlaix?

 

Philippe Le Roy: Il n'est pas terrible. Les gens sont tendus par rapport à un encadrement pas bon du tout. La communication est difficile entre les « chefs » et les agents à la base. C'est chacun dans son coin. Il y a une cassure. La relation de confiance n'existe plus. Depuis un moment, les gens étaient à bout: on peut le comprendre quand, par exemple, un responsable refuse des congés à ses gars sans justification. Le management n'est pas bon. Des petits chefs, qui se montrent durs et mettent sous pression les employés, disent qu'ils sont obligés de faire ce qu'on leur dit de faire. « On m'a dit de choisir son camp », ai-je entendu de la part de l'un d'entre eux: pourtant, ils sont aussi fonctionnaires, et le service public ne peut pas fonctionner sans l'implication et la motivation de la base. Nous n'avons pas assez de matériel pour fonctionner dans mon service: la mairie a fait des appels d'offre pour le renouveler, mais on attend toujours... Les personnels ne sont pas suffisamment consultés, pour prendre en compte la faisabilité technique des choses, dans les prises de décision, comme pour le choix des illuminations de Noël. Pour l'instant la mairie de Morlaix, en dehors des travaux, n'a pas fait le choix de l'externalisation de services auprès du privé. C'est heureux, mais nous sommes vigilants pour l'avenir.

L'exécutif municipal a une responsabilité importante par rapport à l'amélioration du climat social, des conditions de travail et à la satisfaction des revendications justes des agents. Jusqu'à présent, en dehors du blocage de la cuisine centrale et de quelques débrayages, il n'y pas eu de mouvement de grève effectif engagé, mais nous maintenons notre préavis de grève car nous voulons être écoutés. Le 16 mai, il y a un CTP, et nous pourrons faire le point sur les premières réponses apportées par la mairie.

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7 avril 2013 7 07 /04 /avril /2013 07:22

C'est un homme obstiné, d'une détermination peu banale, qui travaille trois ou quatre heures par jour pour s'informer tout azimut, monter des dossiers, des argumentaires, interpeller les élus et ses camarades vendeurs colporteurs de presse. Cela fait sept ans que Fabrice Clémenceau, qui connaît son sujet sur le bout des ongles et se montre un militant passionné de la cause des VCP, est vendeur et livreur indépendant travaillant pour le Télégramme. Ayant débuté sa carrière professionnelle dans les Travaux Publics, il a commencé à assurer les livraisons de journaux pour avoir un salaire d'appoint en parallèle de son métier de pompiste à Pleyber-Christ. C'était un peu dur de travailler 35 heures et la nuit en plus, 7 jour sur 7, et il a décidé à l'époque de faire du boulot de VCP son unique occupation professionnelle alors que pour une partie des VCP, ce travail est perçu comme un complément de retraite ou de salaire. Depuis plusieurs années maintenant, il anime et initie la lutte des VCP pour améliorer leurs conditions de travail.

 

Le Chiffon Rouge: quelles sont vos conditions de travail en tant que VCP?

 

Fabrice Clémenceau: Je gagne environ 900 euros par mois (ceux qui ont le plus de clients et les meilleurs pourcentages peuvent avoir un peu plus de 1000 euros) en me levant tous les jours à 1h45 et en rentrant chez moi à 7h, et en occupant une demi-journée par mois à remplir les factures et les papiers en lien avec mes clients et mes livraisons. A cela, il faut enlever environ 250€ par mois d'essence utilisée pour le travail (un plein toutes les semaines), sans compter l'entretien du véhicule (frein, amortisseur, révision, usure...) et l'assurance. Sur une année complète, on peut très certainement enlever 300 à 350€ de frais à ces 900 €: vous pouvez constater vous-mêmes ce qui reste. On est payé sur le nombre de journaux livrés: on touche environ 13 centimes par journal vendu au client 85 centimes d'euros. On a également une indemnité de 13 centimes par kilomètre effectué, alors que la base fiscale oscille entre 34 et 40 centimes. Le Télégramme, contrairement au Ouest France qui emploie 80% de livreurs salariés, ne travaille qu'avec des VCP indépendants.

Les travailleurs indépendants dits " vendeurs colporteurs de presse" exercent sous plusieurs statuts différents, sans vrai contrat de travail, dans la précarité la plus totale. Ils sont 32000 en France et 700 à travailler pour le Télégramme (12 rien que sur Morlaix), dont ils réalisent 80% des ventes (le reste étant assuré par la grande distribution, les maisons de la presse).

Ils sont obligés à une assiduité sans faille, ils travaillent 364 jours par an, la nuit entre 1h et 8h, par tous les temps... Ils n'ont aucun repos légal, aucune vacance, ni dimanche, ni jour férié.

Ils ont environ 3 à 4 heures de livraison par nuit mais ils doivent aussi compter quelques heures gratuites en plus le jour pour téléphoner aux clients, organiser les tournées, encaisser les factures, interrompre provisoirement des abonnements, tous ces frais de gestion étant à leurs charges, comme l'avancement des impayés des clients. Ils sont payés environ 8,50€ de l'heure, sans compter l'amortissement de la voiture, soumise à rude épreuve, et ne peuvent  donc toucher ni indemnité maladie, ni congé payé, ni chômage. Quand ils ont besoin d'un remplaçant pour assurer leur tournée en cas d'absence contrainte ou volontaire, ils doivent débourser 30€ pour lui par jour, avec une indemnité maladie de 2/3€. Sur les 25€ par mois que fournit un client au Télégramme pour son abonnement, le VCP ne touchera que 3,50€.  

Beaucoup de ces VCP ont par nécessité un deuxième boulot la journée (ou le métier de VCP est lui-même un appoint à un premier travail pas assez rémunérateur), car ils ne parviennent évidemment pas à vivre sur les seules commissions, indemnités kilométriques et pourcentages (dépendant du nombre de journaux à distribuer et du nombre de kilomètres à réaliser: entre 15 et 21%) liés à la distribution des journaux: certains travaillent à 35h pour la distribution de la publicité où ils sont tout aussi mal payés par les grosses entreprises qui ont aussi des liens avec les journaux (Adrexo avec Ouest-France, Mediapost avec le Télegramme), d'autres travaillent dans des entreprises de nettoyage, soit dans des emplois tout aussi précaires.

Ils peuvent avoir une prime de prospection de 30 euros pour un nouveau client trouvé, mais ceux-ci ne courent pas les rues, et la plupart du temps, c'est l'éditeur qui leur assigne leurs tournées.

La protection sociale, jusqu'à présent, est très très défaillante. On a 2 à 3€ la journée quand on est en arrêt maladie et le remplaçant qu'il nous faut trouver nous coûte 30 à 35%. Du coup, la plupart des VCP continuent à travailler malades.

Le calcul des trimestres de cotisation pour les retraites est basé sur le nombre de journaux vendus. De fait, les VCP n'ont que 1 trimestre et demi ou 2 trimestres validés par année. Ils n'ont actuellement que des droits à la retraite ouverts à 67 ans et sont bien souvent condamnés au minimum vieillesse. Pour améliorer leurs pensions de retraite, les VCP réclament de pouvoir cotiser au réel et non sur une base forfaitaire. Cette mesure ne coûterait rien à l'Etat.

L'URSAFF permettrait qu'on cotise au réel, 4 trimestres par an. Mais souvent les éditeurs de presse ne veulent pas.

 

Le Chiffon Rouge: quelles sont vos revendications?

Fabrice Clémenceau: De l'Etat, les VCP attendent une prise en charge de leurs absences pour raisons de maladie par des indemnités journalières dignes de ce nom leur permettant de payer le remplaçant.

Pour les dimanches et les jours fériés, ils réclament une prime identique pour les VCP à la hauteur de 8€.

Comme d'autres travailleurs indépendants, ils veulent un droit à bénéficier d'une récupération de la TVA payée:

- sur le carburant, en prenant en compte le nombre de kilomètres parcourus dans l'année pour la livraison et le prix moyen annuel du carburant multiplié par 19,6%.

- sur l'achat du véhicule, car il est anormal qu'ils payent une taxe sur leur seul outil de travail.

Les VCP attendent aussi une meilleure protection contre le licenciement: actuellement, les éditeurs peuvent se passer d'eux entre 48h et 15 jours, ce qui est un formidable moyen de pression. Les VCP doivent aussi pouvoir cotiser aux Assedic pour bénéficier d'une indemnité chômage, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Plus immédiatement, les VCP du Télégramme attendent un relèvement des indemnités kilomètriques de 13 à 20 centimes d'€ le kilomètres, sachant qu'ils travaillent avec leurs voitures, bonnes à changer au bout de 4-5 ans, dont les frais d'entretien augmentent, les disques et les roues s'usent, sachant aussi que l'indemnité kilométrique au Ouest France est de 20 centimes d'€ le kilomètre, à Médiapost de 39 centimes du km, et que c'est encore inférieur au forfait fiscal standard pour remboursement des frais de transport aux salariés.

Depuis 2009, une aide directe au portage a été donnée par l'Etat aux groupes de presse - et ainsi le Télégramme a récupéré 8 millions d'euros d'aide d'Etat en 3 ans, mais cette aide n'a aucunement été redistribuée au VCP. Certains éditeurs de presse ont embauché, mais en réduisant les tournées des VCP déjà installés, ce qui a créé une nouvelle perte de pouvoir d'achat pour eux.

Sarkozy voulait de l'embauche comme contrepartie aux aides d'Etat: les éditeurs ont coupé les tournées en deux ou les ont amputé d'un tiers, ce qui leur a permis d'embaucher à moindre frais, en rognant sur le pouvoir d'achat des VCP déjà installés. Une tournée de 300 clients, ils l'ont ramené à 200. Les VCP qui ont travaillé pendant des mois à récupérer des clients alors qu'on leur en a enlevé d'autres d'autorité et du jour au lendemain, l'ont eu mauvaise. C'est ça qui est ambigü et désaventageux dans notre statut: nous avons tous les désavantages du travailleur indépendant mais un lien de subordination réel existe avec notre éditeur de presse, en l'occurrence le Télégramme, qui décide de nos tournées, de nos clients....

Augmenter les revenus des VCP du Télégramme n'a sans doute pas été la priorité de l'entreprise qui a préféré investir dans Tébéo ou dans des nouveaux locaux à Brest.

La solution optimale et la plus protectrice pour les VCP du Télégramme serait probablement d'obtenir pour ceux qui le souhaitent un statut de salariés. Le Télégramme y avait pensé à un moment mais s'était ravisé car des études avaient montré que cela lui coûterait plus cher. Les salariés y trouveraient toutefois une toute autre sécurité professionnelle avec un droit à bénéficier de conventions collectives, de contrats de travail, de protections contre le licenciement, le chômage, pour la retraite et les congés-maladie. Ils pourraient peut-être même à terme exiger qu'on leur fournisse des véhicules.

Avant cela, nous avons fait des propositions plus immédiatement réalisables au Télégramme avec qui nous sommes en négociation depuis le 13 mars, des mesures qui ne coûtent rien ou presque, sur lesquels nous demandons que le Télégramme se prononce: participer à la négociation pour fournir une mutuelle à moindre coût pour ses 700 VCP, prendre un partenariat privilégié avec un garage afin de baisser de 20 à 30% le coût de l'entretien de la voiture pour les VCP.

 

Le Chiffon Rouge: quel est ton parcours au niveau syndical et où en êtes-vous de vos démarches de revendication et de sensibilisation pour que votre situation s'améliore?

Fabrice Clémenceau: Au départ, j'étais plutôt proche de la CGT. Au Télégramme, il existait un syndicat CGT des VCP dont j'étais le secrétaire général. On était entre 15 et 20 adhérents.

Mais au Télégramme, il existait un syndicat CGT des VCP. J'y ai adhéré: on était entre 15 et 20 adhérents.

J'ai quitté ce syndicat à la suite de divergences d'opinions sur les actions à mener. Moi, je voulais qu'on aille plus loin dans les actions: qu'on aille voir un avocat pour voir si on ne pouvait pas lancer une procédure pour que le Télégramme nous reverse une partie de ses exonérations de charge patronale, qu'on aille au ministère de la culture, qu'on engage un bras-de-fer avec la direction.

Les VCP syndiqués étaient d'accord pour engager les frais au nom du syndicat pour que l'avocat lance les poursuites judiciaires qu'il pensait parfaitement gagnables mais le bureau de mon syndicat n'a pas suivi. J'ai été un peu écœuré et j'ai décidé avec quelques autres de monter un syndicat indépendant des vendeurs colporteurs de presse où l'on fonctionne sur un principe de consultation de tous en permanence, de mobilisation constante pour nos propres intérêts en tant que VCP.

Au début, ce syndicat que j'anime recrutait seulement au Télégramme mais l'ambition à toujours été de l'élargir aux VCP d'autres titres de presse désormais des VCP de Sud-Ouest et d'un autre journal du midi s'apprêtent à nous rejoindre.

L'Etat nous reconnaît comme un interlocuteur national et nous invite à la table des négociations et des discussions sur l'avenir de la presse. Nous sommes logés à la même enseigne que la FILPAC-CGT.

Notre travail trouve là une première récompense. Il faut dire que nous avons multiplié les démarches pour obtenir des rencontres sur la base de la transmission d'éléments solides.

J'ai été reçu deux fois par Marylise Lebranchu (le 12 octobre 2011 et le 21 mai 2012), une fois par Agnès Le Brun (le 7 juin 2012), une fois à la préfecture avant une opération escargot (le 8 mars 2012), deux fois par le ministère du travail à Paris ( 12 avril et 14 novembre 2012), deux fois par le ministère de la culture (8 décembre 2012 et 1er mars 2013), une fois au cabinet du Premier Ministre (3 octobre 2012). Le prochain rendez-vous, c'est en avril à l'Elysée, auprès de collaborateurs du Président Hollande. A chaque fois, nous allons à Paris avec nos deniers personnels et nous faisons l'aller-retour dans la journée pour pouvoir prendre le service dans la foulée. C'est éreintant, cela représente beaucoup d'investissement pour nous, mais nous avons une détermination partagée et sans faille. Je sais qu'on ira jusqu'au bout et qu'on va y arriver. Déjà, à force de "harceler" les décideurs par mails et téléphone, on finit par être écouté. Il ne faut pas être complexé. Notre situation est inacceptable. Il faut que ça se sache et que ça change car on ne peut tolérer une telle exploitation, une telle précarité. On travaille bien ensemble: tout se décide collectivement - les contacts, les manifs, les actions. Malheureusement, beaucoup de VCP ont peur pour leur emploi, peur de se faire virer, peur pour leur pouvoir d'achat, et comme on ne se connaît pas tous et que nous avons parfois des situations distinctes, il n'est pas évident de se mobiliser très fortement et nombreux. Mais ça finira par se faire, et là, ça pourra aller loin.

Aujourd'hui, j'ai bon espoir qu'une nouvelle charte des VCP soit signée, plus intéressante et protectrice pour nous, au niveau national à l'occasion de la réorganisation de l'économie de la presse. On m'a donné des éléments tendant à penser qu'il y allait avoir des choses de débloquées dessus. Par contre, il faudra toujours se battre pour que cette nouvelle charte que nous attendons tous soit appliquée au niveau du Télégramme.

 

 Entretien réalisé le 24 mars 2013.

 

 

 

JOURNAL REGIONAL DE FRANCE 3

Colporteurs de presse cherchent statut

Ils travaillent 362 jours par an pour livrer les quotidiens aux abonnés dès le petit matin. Salariés pour l'URSSAF, travailleurs indépendants pour les impôts... leur statut hybride les handicape.

  • Par Antonin Billet, publié le 30/03/2013
Fabrice livre chaque matin environ 250 exemplaires du Télégramme aux abonnés du quotidien.
Fabrice livre chaque matin environ 250 exemplaires du Télégramme aux abonnés du quotidien.
 
 
Dans notre reportage vidéo, nous suivons Fabrice qui livre chaque matin environ 250 exemplaires du quotidien le Télégramme. Il travaille 362 jours par an : pas de jours fériés ni de congés payés. Sa journée de travail commence vers 2h du matin pour s'achever vers 7h.

Sa paie : entre 14 et 20 centimes d'euros par journal livré. Cela lui fait un salaire d'environ 900 euros par mois.

Côté protection sociale, cela n'est pas terrible : l'une de ses collègues qui avait pris dix jours d'arrêt maladie a touché... 28 euros !

Pour défendre sa profession et lui donner un vrai statut, il se rendra le 10 avril prochain à l'Elysée.

 

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27 mars 2013 3 27 /03 /mars /2013 07:36

Le Chiffon Rouge: Est-ce que tu peux nous décrire un peu le profil et l'historique de ton entreprise?

 

Notre entreprise- Narvik à l'origine- a été créée par René Gad, le maire de Lampaul Guimiliau, en 1988. Cela a été une entreprise familiale jusqu'en 1997. Elle a été ensuite revendue à Serge Pasquier, de Cholet. Il n'avait pas dans ses entreprises agro-alimentaires d'entrée de gamme: on s'est mis alors à faire des blinis, des surimis, alors qu'on était spécialisée auparavant dans la préparation du saumon. Pasquier a introduit une façon de travailler qui axait sur la maîtrise, la responsabilisation, le sentiment d'appartenance à un groupe: on nous a fait visiter les usines Pasquier de La Rochelle. C'était un peu du management à l'américaine.

Puis il y a eu la crise du saumon en 2000. Celui-ci s'achetait à un prix très élevé. Pasquier a délocalisé la fabrication des blinis et des surimis à Cholet et nous a laissé une dette de 3 millions d'euros.

En 2001, nous avons été rachetés par Gilles Charpentier, président de Meralliance-Armorik à Quimper, producteur de saumon. Du coup, ça faisait deux sites de production (c'est à dire découpe, préparation du saumon acheté en Norvège): à Quimper et à Landivisiau. En 2004, Charpentier a licencié ou proposé des reclassements à 12 personnes et a rapatrié l'atelier de production à Quimper.

A landivisiau, on préparait des plats traiteurs et leur Expédition. Aujourd'hui, et depuis 2009, on ne fait que du conditionnement et de l'expédition des produits fabriqués à Quimper et en Pologne.

En 2008, il y a eu un Plan Social avec pour motif invoqué la mise en conformité de l'installation frigorifique aux nouvelles normes interdisant en décembre 2014 l'utilisation du gaz Fréon dans ces systèmes, l'investissement n'étant pas économiquement faisable selon la direction sur les deux sîtes de Quimper et Landivisiau.

Charpentier a voulu que 56 salariés en CDI rejoignent le site de Quimper. Deux ont accepté: tous les autres ont refusé.

Heureusement, grâce à un dispositif gouvernemental expérimental et spécifique pour lequel le bassin de Morlaix, sinistré économiquement et socialement, était éligible, plusieurs salariés ont pu se reconvertir – ce qu'ils ont souvent perçu comme une aubaine - grâce à un CONTRAT DE TRANSITION PROFESSIONNELLE (CTP). Pendant un an, ils recevaient 80% de leur salaire net et ils pouvaient accéder à des formations longues.

Ils étaient COACHES dans le cadre du CTP. Les collègues se sont toutes recyclées dans d'autres métiers: assistance maternelle, infirmière, etc. Il faut dire que certaines avaient déjà une formation de base qui les disposait à cela plutôt qu'à devenir ouvrière dans l'agro-alimentaire et le saumon. C'était nettement mieux pour mes collègues de changer complètement de métier en se formant et en acceptant un départ volontaire que, en cas de suppression d'emploi avec une indemnité licenciement minime de se voir proposer de poste que chez Kritsen, le concurrent à Landivisiau, ou à Gad. Quand on vient de l'agro, on ne veut pas forcément y retourner: on sait qu'il y a peu d'avenir dans l'agro et le métier est usant et sous-payé.

Quand on leur a dit qu'elles pouvaient complètement se réorienter, les salariés, des filles souvent, avaient une autre vision du reclassement.

Il n'y a donc pas eu de manifestations, les gens en avaient ras-le-bol. Ils perdaient leur savoir-faire, on ne savait pas si les investissements froid seraient faits et sans ça on ne pouvait plus fonctionner; ils ont choisi de prendre le CTPt pour aller dans d'autres secteurs moins pénibles où ils sont mieux reconnus. La direction savait que les personnes adhéraient au CTP et était moins encline à faire des propositions de reclassement dans le PSE. On a aussi négocié des départs anticipés FNE pour les salariés de +55 ans qui étaient pris en charge par l'Etat jusqu'à leur retraite.

Depuis, il y a un an, on a voulu nous faire changer de nom: passer de « Narvik » à « Meralliance » puisqu'on n'était plus qu'une plate forme d'expédition pour l'ensemble du groupe Meralliance. Derrière des montages juridiques le « simple changement de nom » visait à supprimer l'historique de Narvik. Nous avons demandé l'assistance d'un expert CE. Car puisqu'on changeait de statut juridique on repartait à zéro: tous les acquis tombaient. On a négocié un accord de transfert de tous les accords d'entreprise Narvik et des avantages individuels et collectifs vers la nouvelle société. On craignait aussi d'être revendu plus facilement à d'autres logisticiens.

Depuis peu, on change encore, on nous intègre dans une structure France comprenant Meralliance Logistique Landivisiau, Meralliance production armoric Quimper et Meralliance. La direction veut se developper au niveau européen. La Pologne produit les premiers prix, Esco en Ecosse rachetée l'an passé produit avec ses 340 salariés du frais vendu en Angleterre.A Armoric Saumon fumé Quimper, il y a 340 salariés; en Pologne 120; à Esco en Ecosse 340; et à Landivisiau 70 titulaires et à peu près 100 personnes à travailler avec les intérimaires. En 2004, on était 300 salariés sur le site de Landivisiau. On a perdu 200 salariés depuis.

 

Le Chiffon Rouge: Comment ont évolué vos conditions de travail?

 

Il faut savoir que les conditions de travail sont dures. Les gens sont cassés par le boulot, les troubles musculo-squelettiques, les tendinites. On fait des gestes répétitifs port charges, au froid, qui font travailler les épaules, les coudes, le dos, et qui nous esquintent au bout du compte... Si l'on se plaint et revendique des améliorations, la direction répond qu'elle va automatiser.

Aujourd'hui, on est six par lignes. Quatre sur l'automatique. Avec l'évolution de l'automatisation, on pourrait rapidement perdre des emplois. En logistique, ça peut aller très vite. En production, cela exigeait un savoir-faire qui ne s'acquiérait pas en cinq minutes: on mettait des tranches de saumon sur des plaques, il fallait répartir les saumons coupés en grande tranche, apprécier le poids et l'aspect de chacune, les répartir sur la plaque afin d'avoir un rendu uniforme, esthétique, correspondant au cahier des charges établi sans pertes.

En 2008, on nous a enlevé notre métier: on reçoit désormais des produits déjà préparés de Quimper et de Pologne.

On ne fait plus que du sur-conditionnement et de l'expédition. Il n'y a plus de savoir-faire très loin à avoir. C'est pourquoi, depuis le plan social de 2008, la boîte n'a jamais embauché autant d'intérimaires. Il y a des gens qui sont là 18 mois durant à temps plein: on les maintient dans la précarité sans leur offrir de CDI.

Certains préfèrent rester en intérim plutôt que d'être titularisé. Ils gagnent plus (surtout qu'ils sont quasi assurés d'un boulot à plein temps vu la gestion douteuse des contrats entre agence intérim et ML (délai de carence pas identique à tous...). Selon eux, ils peuvent avoir 2000 euros/mois: or, un CDI ne vous donne qu'à pleine plus que le SMIC grâce à l'ancienneté et aux primes diverses.

 

Moi, je suis élue du personnel depuis 20 ans J'ai été élue en 1994 déléguée syndicale. J'ai à peu près le double de boulot avec les mandats CE CHSTT et une direction éloignée pas disponible. Aujourd'hui, quasiment tout se passe par mail mais il faut faire encore plus de boulot personnel pour ne pas se faire dépasser par la direction qui ne demanderait pas mieux et laisser passer des choses.

Mon rôle, tel que je le conçois, est la défense des droits des salariés, de maintenir les emplois et d'obtenir des CDI pour que le recours à l'intérim ne soit pas normalisé quand il occupe l'activité normale de l'entreprise. La direction reconnaît pourtant qu'elle risque la requalification du CDI mais les salariés ne contestant pas, cela persiste. C'est pourquoi je me suis battue parfois sans être comprise des collègues.

 

Le Chiffon Rouge: Quelle est la proportion d'hommes et de femmes parmi les salariés? Il y a t-il des fonctions très différentes dans l'entreprise?  

 

C'est moitié-moitié, par contre parmi les caristes, les précaires, il y a plus d'hommes. Les métiers manuels, à la production, quand il s'agissait de placer les tranches, étaient davantage réservés aux femmes. Aujourd'hui, il y a un petit clivage entre les jeunes de 40 ans et moins qui ont toujours fait de l'expédition depuis qu'ils sont ici, et les femmes de 55 ans et plus qui étaient à la production, qui ont perdu leur métier, sont affaiblies parce qu'elles ont été soumises pendant des années à des cadences en ligne très éprouvantes physiquement. La direction ne se dispense pas de faire plutôt passer les anciennes pour des gens qui refusent le changement. La production, c'était pénible physiquement mais plus intéressant que l'expédition d'un côté, car moins répétitif, plus complexe. Aujourd'hui, nous ne faisons pas un métier dit « basique » selon la direction, sans touche personnelle apporter. Pour autant, ce que je dis aux collègues, c'est que nous n'avons aucune raison de nous dévaloriser. Nous sommes ouvrières et nous devons être fières de l'être. C'est un métier dur, utile, et qui, en plus, ne nous définit pas. Pourquoi est-ce que nous aurions à rougir d'exercer ce métier là?

 

Le Chiffon Rouge: Quelles conséquences pourrait avoir la ratification de l'ANI – l'accord dit de « sécurisation de l'emploi » MEDEF-CFDT-Gouvernement – sur une entreprise comme la tienne?

 

C'est une bombe.

L'ANI, dans un contexte très tendu et avec des personnes comme celles-là, repliés sur leurs intérêts personnels c'est une bombe. Les gens finiraient vite par se tirer dans les pattes car il y a déjà des « jalousies » sans être en plan social. Qu'est-ce que les compétences? Comment peut-on les juger équitablement. Je ne me vois négocier un plan social dans ces conditions.. Les gens entre eux risquent de se tirer dans les pattes: « qu'est-ce vous faites vous, vous n'avez pas de compétences » … Avant, on avait des critères objectifs pour fixer l'ordre des licenciements qui donnaient moins lieu à l'arbitraire: âge, ancienneté dans le poste, situation de famille, situation de handicap qui vous rajoutait des points. Maintenant, la situation de handicap n'est plus considérée: les gens qui ont contracté au boulot des troubles musculo-squelettiques seront doublement pénalisés et ce seront probablement les premiers licenciés.

L'ANI prévoit aussi de transformer le mode d'information des élus du personnel: ils ne pourront plus demander à voir les documents qu'ils veulent, ils auront accès à une banque de donnée globale, où la direction mettra ce qu'elle veut, ce qui l'arrange. Ma crainte, c'est qu'il n'y ait rien dans cette information accessible à tous et tout le temps.

On a peine déjà à avoir des infos.

On va nous enfumer avec l'équivalent des power-points consensuels, lisses et optimistes qu'on diffuse en CA: on ne saura plus rien des mauvais coups qui se préparent. Or, les élus ne peuvent rien faire sans les documents. Ils ont besoin d'une vision économique de ce que l'entreprise est en train de faire. Ils peuvent se faire aider par des experts à condition d'avoir accès aux documents réellement significatifs. Aujourd'hui, le code du travail garantit aux représentants du personnel l'accès aux documents à la demande et selon une procédure très réglée. Demain, avec l'ANI, on risque de n'avoir que des données expurgées, alimentées par les employeurs en fonction de leurs intérêts: on aura un écran, plus d'écrits. Et plus de temps pour le faire comme on veut correctement puisque l'accord met en place des délais pré-fixés et l'expertise sera aux frais du CE donc limité.

De la même manière, avant, un plan social, c'était très réglementé. Désormais, le plan social sera facilité pour l'employeur. Même si les difficultés économiques invoquées sont de l'ordre du prétexte, l'employeur pourra faire avaliser un accord prévoyant des régressions sociales sous la menace de la suppression d'emplois.

Lors de notre plan social de 2008, Charpentier avait invoqué qu'il ne pouvait pas investir sur deux sites en même temps (à Quimper et à Landivisiau) pour se mettre aux nouvelles normes froid industrielles dans la branche froid proscrivant au niveau des chambres froides l'utilisation du fréon. En même temps, ils auraient pu anticiper et faire des travaux. Ils ne l'ont pas fait, ils ont attendu qu'on se rapproche de l'échéance: ça leur a servi de prétexte.

Avec l'ANI, il sera difficile pour les syndicaux de contester en justice des prétextes pour licencier et pour réduire les droits des salariés: seule comptera la menace de la suppression d'emplois permettant aux employeurs de conclure des accords régressifs sous la contrainte.

Chez nous, l'ANI va certainement faciliter les mobilités forcées. Déjà, l'entreprise joue sur la polyvalence et le changement de poste régulier pour éviter les tendinites. C'est une polyvalence imposée. L'entreprise a utilisé 90000€ de fonds de formation professionnelle pour payer un programme de lutte contre les TMS. Un formateur validé par la CRAM afin qu'il revoit l'organisation du travail pour éviter les troubles musculo-squelettiques a établi une « cartographie de la douleur » des différents postes et fait des préconisations en conséquence pour modifier les postes et changer des choses à l'organisation. Les salariés n'ont pas eu leur mot à dire comme ils le souhaitaient. Les salariés sont dépossédés du sens de leur travail et on ne les consulte pas vraiment pour trouver les moyens d'améliorer leurs conditions de travail. L'intervenant extérieur, ça été une caution pour la direction afin de ne pas écouter les salariés.

L'intervenant extérieur, validé par la CRAM, ça été une caution pour la direction car on débutait la négociation pénibilité au travail et sa responsabilité sur la dégradation de la santé par le nombre de TMS relevés était engagée. Elle a aussi profité pour mettre en place la polyvalence imposée qui limite les recrutements nécessaires sans augmenter la masse salariale.

 

De la même manière, le délai pour poursuivre un employeur aux prud'hommes est raccourci et passe à deux ans et non plus cinq ans. On sécurise la situation de l'employeur déjà en position de force: on facilite les abus et les entorses au droit du travail. On désarme les salariés et le code du travail déjà très souvent bafoué en raison de la faiblesse des effectifs de l'inspection du travail et de la difficulté des salariés à faire valoir leurs droits.

Les indemnités lors d'un plan social seront certainement revues à la baisse: ce sera un forfait à prendre ou à laisser, quelque soit la faute ou l'irresponsabilité de l'employeur.

Avec l'ANI, il n'y aura plus non plus de compensations, de majorations pour les salariés à temps partiel à qui on demande de faire des heures supplémentaires pour s'adapter à l'évolution des commandes. Cela concerne beaucoup de salariés, chez nous, surtout des femmes, qui vont ainsi perdre du pouvoir d'achat. Nous avons beaucoup de temps partiels choisis chez nous (des gens qui travaillent aux 4/5, à 80%): demain, ils n'auront pas le choix de déterminer leur temps de travail, ils n'auront pas de majorations quand ils travaillent davantage.

 

Le Chiffon Rouge: Est-ce que l'environnement économique de votre entreprise vous semble rassurant pour les salariés de Narvik Meralliance?

 

Nous ne sommes pas à l'abri d'une nouvelle crise du saumon avec une augmentation fulgurante des prix de la matière première comme en 2003. Déjà, depuis le début de l'année, la matière première a pris 1€ le kilo. Or, les clients pour lesquels nous travaillons, toutes les grandes enseignes de grandes distributions – système U, Casino, Leader Price, Leclerc... - tirent au maximum sur les prix pour accroître leurs marges.

Il y a souvent des appels d'offre. Certains imposent la suppression des étuis. Comme nous travaillons au conditionnement avec étuis, cela impacte directement notre emploi s'ils font ce choix.

La mode en matière d'emballage, de conditionnement, est versatile: cela dépend des tendances marketing, des nouvelles exigences des consommateurs. Comme nous travaillons au conditionnement, nous pourrions perdre notre emploi dans ces conditions. Il faut aussi prendre en compte l'arrivée de l'éco-taxe qui conduirait à 6% d'augmentation des frais de transport et l'augmentation des cours du pétrole. Augmentation qui pourrait difficilement être refacturée au client.

Dans le contexte actuel, ça nous met en danger. En même temps, peut-être qu'en 2008 cela aurait dissuadé Charpentier de centraliser la production à Quimper pour nous envoyer les produits finis pour le conditionnement et l'expédition en justifiant à chaque fois des déplacements de marchandises entre Quimper et Landivisiau.

Nous pouvons aussi craindre la concurrence des autres entreprises: notre concurrent historique Kritsen, Marvin Harvest vient d'acheter le géant polonais MORPOL et depuis ainsi le leader mondial du saumon. MORPOL s'est installé en Bourgogne avec l'appui du conseil général et un financement public conséquent il y a peu, et qui casse tous les prix depuis (cf: http://www.tracesecritesnews.fr/actualite/morpol-batit-une-usine-pour-ses-saumons-en-saone-et-loire-17746).

 

Propos recueillis le 17 mars 2013. Nos remerciements chaleureux à Danielle Guyot.

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22 mars 2013 5 22 /03 /mars /2013 16:34

 

Frédéric L'aminot, délégué du personnel CGT à Celtys Landivisiau (Queguiner)

 

Le Chiffon Rouge: Est-ce que tu peux nous décrire le profil et la situation de ton entreprise, la conjoncture qu'elle traverse et les conditions de travail de ses salariés actuellement?

 

Fréderic L'aminot: Queguiner, c'est un groupe de 1000 salariés repartis sur toute la Bretagne, avec quatre boîtes indépendantes dans le groupe, de telle sorte que les difficultés des unes n'empiètent pas forcément sur les autres: Leader Mat, Queguiner Transports, Queguiner matériaux, Celtys. Queguiner a aussi tendance à racheter les boîtes qui vont mal pour endiguer la concurrence: Vézo, Bleunven à Plabennec, Jacques à Henvic. C'est à Celtys Landivisiau que je travaille: on fabrique et on vend des produits en béton, béton de résine et composite, béton prêt à l'emploi.

Il y a 230 CDI dans la boîte mais depuis quelques années on préfère embaucher des CDD plutôt que des CDI. On est passé de 50 intérimaires à 20, ce qui est un signe que les commandes ont tendance à se réduire un peu. On paie dans une certaine mesure la crise du bâtiment, la soumission des collectivités aux mesures de rigueur qui génèrent une baisse des travaux publics et de voirie, mais inversement, on a bien bénéficié ces dernières années pour amortir les conséquences de la crise financière des aides européennes aux agriculteurs pour qu'ils adaptent leurs bâtiments d'élevage aux nouvelles normes « bien-être animal ». Qu'est-ce que cela va donner maintenant que ces aides s'interrompent et que la crise s'intensifie? Je ne sais pas.

Il faut aussi prendre en compte la mise en place de l'écotaxe sur le carburant: les entreprises bretonnes, la nôtre en particulier, en raison de la péninsularité de notre région et de son enclavement, risquent de payer assez cher le passage à cette fiscalité écologique. On a évalué les dépenses supplémentaires à 150000€/ an pour la boîte. En même temps, cette prise en compte des enjeux environnementaux est aussi positive, par elle-même et pour l'entreprise. La boîte travaille plus propre, se lance dans l'écologie, la récupération des déchets, leur recyclage (déchets reconcassés, réutilisés). De plus en plus, il y a des clients qui prennent en compte des critères sociaux et écologiques.

On est loin de la situation de crise absolue de 2008, quand on avait viré tous les intérimaires. C'est en 2008 quand est passé de 37h à 35h car il n'y avait pas assez de commandes, donc de travail: on était sur notre dos pour nettoyer l'atelier, entretenir les talus... Car il n'y avait rien d'autre à faire. On s'était mis au 37h suite à un référendum interne quelques années avant à l'issue duquel cette option l'avait emporté. Perso, j'aurais préféré à l'époque qu'on reste aux 35h avec une augmentation de salaire. Depuis le retour au 35h, la productivité a augmenté, mais si entretemps on est repassé aux 37h. On est passé d'une entreprise familiale et paternaliste où chacun se sentait respecté quand le travail était fait à un groupe avec les méthodes de management peu humaines répandues aujourd'hui dans les grosses entreprises: pression constante sur les temps, nécessité d'aller toujours plus vite pour gagner plus d'argent, rendre productif par la pression, la peur, la culpabilisation. Ce sont des petits jeunes sortis de leurs écoles qui donnent des ordres et recadrent des salariés qui ont 15 ou 20 ans de boîte. Si t'a mal fait le ménage, on t'envoie direct une lettre à ton poste. Les jeunes ont tellement peur de tomber dans la dépression suite à la pression de leurs cadres qu'on parvient à en syndiquer beaucoup plus. On vient de loin mais en 3 ans, alors qu'il n'y avait pas de syndiqué CGT à Celtys, on a fait 20 adhésions. On bien devant la CFDT qui compte 5 syndiqués. Et encore, il y a beaucoup de sympathisants qui hésitent encore à prendre leur carte. Quand les cotisations syndicales donneront droit à un crédit d'impôt, l'an prochain, on devrait encore augmenter le nombre de syndiqués. Toutefois, la syndicalisation reste minoritaire: les plus anciens ne sont pas habitués, les gens se taisent, ont peur: ils veulent garder leur travail. Il y a un mal-être des salariés qui grandit: ça se traduit par des arrêts de travail, des arrêts-maladie qui n'en sont pas vraiment, ça râle beaucoup. Pour la manifestation du 5 mars contre l'ANI, l'accord national interprofessionnel MEDEF-CFDT qui précarise les salariés et casse le droit du travail, je croyais avoir convaincu beaucoup de mes collègues de la nocivité du texte, mais très peu ont fait grève et sont allés manifester. Les gens ont peur, s'accrochent à leur emploi, surtout quand on voit ce qui se passe à GAD, où travaillent beaucoup de conjoints de mes collègues.

 

Le Chiffon Rouge: Quel est le niveau des salaires chez vous?

 

Fréderic L'aminot: On est un peu au-dessus de la moyenne conventionnelle des entreprises du secteur régi par la convention « carrière et matériaux ». Dans les années 2000, on a gagné 100€ en passant aux 37h: ils ont été perdus avec le retour aux 35h en 2008. En 2009, on est revenu aux 37h. Avec la baisse de l'activité et des bénéfices de la boîte, la partie variable du salaire à l'intéressement diminue.

 

Le Chiffon Rouge: Quelles seraient selon toi les conséquences les plus significatives de l'ANI, l'accord MEDEF-CDFT de flexibilisation des salariés et du droit du travail, s'il était inscrit dans la loi comme le veut le gouvernement?

 

Fréderic L'aminot: J'ai été syndiqué pendant un moment à la CFDT, je ne regrette vraiment pas d'avoir quitté ce syndicat vu ce qu'ils ont accepté de signer: c'est dans l'ensemble la porte ouverte à des reculs terribles des droits des salariés. Certes, il y a la généralisation des complémentaires santé, mais le financement est indéterminé, indécis, soumis à négociation future, tandis que les reculs, eux, sont immédiats. Les syndicalistes n'auront plus le droit de parler de ce qui se passe en réunion: beaucoup de choses seront confidentielles, on ne pourra plus en parler aux salariés. On va demander aux CE de préparer des plans sociaux par avance, indépendamment des situations d'urgence. Avec un chantage à l'emploi permanent, on pourra imposer aux salariés d'accepter la baisse de leurs salaires, la modification de leurs horaires, des déplacements de postes et de lieux de travail, des augmentations du temps de travail. Les gens ont des maisons sur le dos, ils ont tendance à être fatalistes, ils veulent sauvegarder leur emploi coûte que coûte: il est à craindre qu'ils acceptent ce qu'on ne manquera pas de leur imposer pour augmenter la rentabilité des entreprises et les profits de leurs patrons ou actionnaires. Par exemple, Queguiner a acheté un terrain du côté de Notre-Dame-des-Landes en prévision de la construction de l'aéroport: si celui-ci est bien construit, on peut imaginer qu'il y aura des pressions pour favoriser la mobilité des salariés vers la Loire-Atlantique. Demain, les salariés qui refusent l'application d'un accord collectif régressif et obtenu sous la contrainte prétendument de « maintien dans l'emploi » seront licenciés: c'est inacceptable.

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20 mars 2013 3 20 /03 /mars /2013 10:58

Nous inaugurons ici une nouvelle rubrique du Chiffon Rouge intitulé "Parole de Syndicalistes". Nous interrogerons plusieurs militants syndicaux de la région pour découvrir la réalité des conditions de travail dans leurs entreprises, leur milieu professionnel, les enjeux actuels des évolutions du monde du travail, mais aussi les laisser nous raconter leur expérience des batailles menées et gagnées qui montrent que l'engagement syndical est nécessaire, quoique souvent difficile et ingrat. Cette rubrique sera l'occasion de réhabiliter le rôle des syndicats et des syndicalistes, souvent minimisé ou décrié dans le discours médiatique dominant. Elle cherchera à nous donner à tous des clefs pour mieux comprendre les réalités économiques et sociales de la région en faisant parler des acteurs qui, en dehors de leur secteur et de leur syndicat, sont rarement entendus.  Dans le contexte de la ratification annoncée de l'accord MEDEF-CFDT-Gouvernement de flexibilisation des salariés et de casse du code du travail, il est également utile de montrer par l'exemple que la défense syndicale des salariés à une dimension politique et qu'elle doit être soutenue par un combat politique en faveur de la justice sociale et de l'émancipation des travailleurs.  

 

 Jean-Jacques Labous au service des « petites mains » de l'agriculture léonarde.

 

Jean-Jacques Labous, qui fut manipulateur radio dans une clinique jusqu'à sa retraite, est secrétaire de l'UL CGT de Saint Pol de Léon, où il n'a jamais été permanent. Depuis plus de trente ans, il aide principalement les petites mains de l'économie agricole léonarde à s'organiser pour défendre leurs droits et améliorer leurs conditions de travail. C'est un très bon connaisseur de la situation des salariés précaires et sous-payés de l'agriculture: emballeurs, conditionneurs, tresseurs d'échalotes, ouvriers des serres de tomates et des pépinières, ramasseurs saisonniers.

 

Le Chiffon Rouge: peux-tu évoquer à partir d'exemples concrets la situation des salariés du secteur agro-alimentaire léonard dont tu défends les intérêts et que tu aides à s'organiser, de leurs luttes pour améliorer les salaires et leurs conditions de travail?

 

Jean-Jacques Labous: Je peux d'abord évoquer la situation d'une entreprise que je suis depuis quelques années, l'entreprise Prigent au croissant de Plougoulm, qui fait travailler à domicile 20 tresseurs d'échalotes, majoritairement des femmes, dont plusieurs élèvent seules leurs enfants, 4 autres employés restant avec un statut de titulaire au dépôt. Ces tresseurs d'échalotes sont des tâcherons, ils sont payés à la pièce, au poids de ce qu'ils traitent parmi les échalotes que l'employeur envoie en vrac: s'ils râlent, ils sont punis immédiatement et on ne leur donne plus de travail, un point c'est tout. Ce sont des gens qui travaillent depuis plusieurs années pour l'entreprise. Leurs conditions de travail ne sont pas soumises à une convention collective: le profit fixe les règles pour les salaires. Il y a quelques années, je suis intervenu directement dans cette entreprise dont je connaissais le patron grâce à une commune appartenance au club de foot de Saint Pol pour lui dire: « il y a des choses ici qui ne vont pas ». Il m'a dit tout de go, « le Smic pour mes employés, pour moi, c'est trop! ». Et pourtant, il gagnait de l'argent, assez pour réinvestir dans l'immobilier, le tourisme. Lors de l'élection des délégués du personnel, ses employés qui ne venaient jamais au magasin s'y sont réunis. J'étais là, pour veiller à ce que tout se passe dans les règles et informer les employés de leurs droits. Il leur a dit: « c'est lui qui veut fermer la boîte ». J'ai senti tout à coup une vague d'agressivité dirigée contre moi. Avant de partir, je leur ai tout de même dit: « Si vous voulez vivre avec 400€ par mois, c'est votre choix ». J'ai été foutu à la porte comme un malpropre en parfaite négation des droits syndicaux: il n'empêche, Mr Prigent a été condamné à verser 5000 € d'amende à la CGT. Depuis, pour cette entreprise, la CGT est parvenue à faire signer une convention avec la préfecture il y a 4 ans: cela a pris plusieurs années pour la mettre au point. Mais les salaires ont augmenté de 37%, des quotas doivent désormais être respectés dans le calibrage des échalotes, la proportion de déchets est limitée à 15% sur 100 kg qu'on amène aux tresseurs d'échalote (il s'agissait d'échalotes sans queue, pourrie, trop petite, qu'on devait jeter et pour lesquelles les employés n'étaient pas payés). Se mobiliser syndicalement, ça paie. Ces salariés arrivent maintenant péniblement au SMIC en travaillant largement 35h et en utilisant leurs 10% de salaire dédiés aux congés pour, non pas prendre des vacances, mais améliorer leur rémunération très faible. Il y a des centaines de tresseurs d'échalotes dans le Léon, mais beaucoup sont soumis à la convention collective de l'agriculture parce qu'ils travaillent pour des groupements de cultivateurs. Certains tresseurs d'échalotes travaillent aussi non pas à domicile, mais à l'intérieur d'une entreprise, comme à Plounevez-Lochrist.

 

Le Chiffon Rouge: A quelle autre type de situations professionnelles tu as affaire dans le domaine de la défense des salariés agricoles?

 

Jean-Jacques Labous: Je peux vous parler des conditions de travail dans les serres de tomates. Je m'occupe de soutenir les salariés d'une grosse entreprise familiale gérée par trois frères qui ont deux serres à Cleder, une serre à Mespaul, une serre à Saint Eloi. Malheureusement, il n'y a pas assez de lien au niveau des revendications et des transmissions d'informations entre les salariés de ces serres. Une des serres de Cleder a une forte organisation CGT.

Dans ces serres, tout était à revoir: salaires, primes, conditions de travail, sécurité au travail. J'ai été obligé de faire intervenir l'inspection du travail: il y avait des vitres endommagées et vétustes qui risquaient de tomber sur les salariés, des prises électriques non sécurisées à proximité de l'eau, des chaudières marchant au bois récupéré très dangereuses pour les salariés venant les nettoyer en rentrant dedans. Il y a eu beaucoup d'accidents du travail, de TMS, troubles musculo-squelettiques. Avec un matériel vieillot et endommagé, les salariés se mettent en danger. La législation sur le travail, le patron n'en avait rien à foutre. L'inspection du travail a des moyens réduits: elle constate les carences de sécurité mais ne peut pas toujours vérifier que les travaux exigés ont été effectués.

Il désignait lui-même les salariés qu'il voulait voir devenir délégués du personnel. Quand j'ai essayé de le raisonner au téléphone, il m'a dit: « les syndicats, j'en ai jamais eu, j'en aurai jamais ». Il a fallu le contraindre à faire élire les délégués du personnel avec un protocole d'accord formel, carré. Au 1er tour, seules les organisations syndicales ont eu le droit de présenter des candidats. Au second tour, des délégués qui ne déplaisaient pas au patron ont battu le candidat de la CGT. Depuis, ces délégués sont passés à la CGT et font un travail formidable: ils se sont rendus compte de l'utilité du syndicalisme revendicatif. Ils ont réussi à faire plier le patron en le faisant revenir sur sa décision de ne plus payer des heures supplémentaires au salaire qu'il avait un moment annoncé.

Je peux aussi vous parler des pépinières de Plouénan. Là encore, les salariés ont des conditions de travail déplorables. Leur sécurité n'est pas assurée. On emploie des salariés COTOREP (handicapés) à utiliser des machines qui ne sont pas adaptées pour eux, avec du matériel désuet. Avec une responsable syndicale CGT, il y a pour les semaines à venir un projet très intéressant de table-ronde pour l'amélioration des conditions de travail dans les serres avec un inspecteur du travail, la médecine du travail, l'organisation syndicale.  

J'assiste aussi les emballeurs de légumes de Saint Pol de Léon dans leur effort pour défendre leurs intérêts. Ils sont aujourd'hui 35 salariés en entreprise, dont 15 en CDI après avoir été 600 à la fin des années 60 (dont 450 étaient syndiqués à la CGT!). Beaucoup du conditionnement s'effectue aujourd'hui directement sur les exploitations. Avec la création différée pour des raisons judiciaires mais toujours voulue par la SICA de la grande plateforme de conditionnement de légumes de la Vilargren à Plougoulm, c'est tous les postes de saisonniers (des gens qui ne vivent quasiment qu'avec les saisons d'artichauts et de choux fleurs: peut-être 200 à 250 personnes) qui vont sauter, et probablement la majorité des CDI d'emballeurs qui ne seront pas formés et aptes à se requalifier dans un centre beaucoup plus automatisé où leurs tâches vont évoluer vers l'administratif, l'informatique. Jacques Le Guen, l'ancien député de droite de Landivisiau, a dit un jour que la future plateforme de la SICA valait 5000 emplois créés ou conservés. On est en plein délire: je lui ai écrit en lui demandant ses sources. Il ne m'a jamais répondu. Les ouvriers emballeurs ne sont déjà plus très nombreux: il est fort à penser que la plupart d'entre eux se retrouveront au chômage avec la création de la plateforme dont la CGT a montré les effets pervers.

Aujourd'hui, dans la région de Saint Pol de Léon, la syndicalisation à la CGT relève la tête: on a créé trois sections d'entreprise depuis le début du mois, à la CCI (criée de Roscoff), à la mairie de Plouescat, chez Prigent échalotes. Ce n'est pas le travail qui manque mais cette remontée de l'engagement syndical sous la pression des évènements (la crise, la pression de plus en plus forte mise sur les salariés) est prometteuse.

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